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Hélène au-delà du miroir

 

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            J’ai revu hier soir Dernières nouvelles du cosmos, ce beau film témoignage de Julie Bertucelli faisant le portrait d’Hélène, alias Babouillec, jeune femme autiste enfermée dans son silence, qui, soutenue, écoutée, aimée, sollicitée par une mère disponible, sensible et d’une grande intelligence, s’est mise un jour à exprimer avec des lettres de carton l’étrange et riche relation au monde de sa bulle de solitude. Devant nos yeux incrédules, les phrases se forment lettre après lettre, mais de toute évidence elles enjambent d’emblée les propositions simples de la communication ordinaire pour manifester un degré d’élaboration poétique surprenant. Le plus frappant, sans doute, c’est que cette jeune femme autiste nous éveille à certains replis cachés de notre propre monde intérieur, éclairant brusquement cette part de nous-mêmes qui demeure depuis l’origine enfermée en nous et réduite au silence. À travers ce que ses formules poétiques nous livrent de son expérience, nous mesurons à quel point nous sommes, nous aussi, prisonniers de nous-mêmes, d’autant plus prisonniers que notre bavardage permet d’oublier cette réclusion. Sans vouloir sous-estimer la part de singularité d’Hélène, je me dis qu’il est probablement significatif de ce genre de bond soudain du silence à la parole qu’il prenne spontanément forme poétique. La poésie, avec sa façon de bousculer les formes instituées par la grammaire et le lexique de l’existence, avec son obstination à déjouer les pièges du semblable, avec son refus de la répétition, de l’inerte, de la parole vide, n’est-elle pas le meilleur moyen de donner espace et voix au prisonnier que nous portons en nous, de rendre visible et audible son aspiration à être accueilli dans toute l’étendue, la richesse et l’incongruité de son royaume de solitude ? L’homme réel, qui est ce prisonnier en nous, peut-il communiquer quoi que ce soit de lui hors de cet accident vital du langage commun que représente la poésie ?

 

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https://www.letemps.ch/culture/babouillec-poetesse-emmuree-ellememe

 

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Chroniques de l'inconnaissance 26-10-2018

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