Quelque chose
Quelque chose en toi ne veut pas qu’on le dise,
Et toi,
Ce quelque chose t’aspire avec
Une force dont tu ne sais
Si elle t’appartient ou si elle est
Une force
Extérieure à ton corps, à ta pensée, à ton désir ;
Le dire t’obsède, mais
Dès que tu le tentes cela recule à la façon
D’un horizon ;
Il y a bien des choses que tu ne dis pas,
Par prudence, politesse, compassion,
Méfiance de principe à l’égard de ceux qui croient
Au bien, au mal, à cette vie coupée en deux
Par la grammaire simple qui donne forme à l’existence,
Mais ces choses-là n’ont rien à voir avec
Ce quelque chose qui te pousse depuis toujours
À dire, à écrire ;
L’écrivant, tu serais
Plus complet, plus entier, plus toi-même,
Te dis-tu,
Et il t’arrive parfois d’énoncer en négatif
Ce quelque chose,
De le dire simplement par le manque de ses noms
Dans la liste de tout ce que tu es
Ou crois être ;
Tu as beau t’échiner,
Ton désir de dire ne rencontre à son endroit
Qu’un trou,
Un trou béant dans ton lexique,
Dans ta grammaire,
Dans ta pensée,
Dans ton miroir lorsque tu t’y reflètes avec
Ton obsession ;
Le seul moment où ta fièvre s’apaise est celui
Où tu cesses de tendre vers lui et où
Tu te dis qu’il n’est pas nécessaire
De le dire puisqu’il
T’accompagne sans cesse à la façon
D’un corps secret et que
Son silence est assez distinct pour que
Tu ne le confondes avec aucun autre silence ;
Par son manque
Il t’emplit,
Par sa force
Il fait de ta faiblesse son instrument,
Par son silence
Il donne à ta parole la puissance des choses,
Par son retrait
Il donne à ta présence l’ampleur de son absence ;
Il y a en lui la vigueur infinie d’un simple
Déséquilibre initiant
Toute chute à la façon
D’un appel irrésistible à aller,
À aller pour toi,
À aller comme vont les mondes et les astres
Qui parfois en accueillent
La brève et extraordinaire fiction avant
D’en libérer dans le vide
L’impalpable
Buée…
(inédit 2018)