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Dans la montagne

 

            Dans la montagne, cet évident plaisir des yeux. Espace. Puissance du relief. Saillie des roches. Nuances infinies du vert. Villages suspendus, granges isolées. Mais on ne peut garder longtemps le plaisir d’une vision statique, d’un détail unique, il faut le mouvement, tourner la tête, enjamber les formes, les couleurs, mesurer les distances, trouver de nouveaux points d’appui aux acrobaties du regard. De plus, ce plaisir se dérobe à la parole, on ne peut le décrire, le définir, juste en témoigner, chercher en l’autre l’écho d’un plaisir semblable. Dès qu’on en dit un peu plus, il semble qu’on s’éloigne du lieu de sa richesse et de son évidence. La parole ne sert-elle, en cette occurrence, qu’à dire l’impossibilité de nous rejoindre dans ce lieu où se produit ce que nous voyons, ce que nous éprouvons, ce que nous sommes et ce que nous aimons ? Ne sert-elle qu’à montrer du doigt, au cœur de nos relations, le vide qui fait écho à notre principale et incommunicable richesse ? À témoigner de l’intrinsèque pauvreté de ce lien qui nous tient ensemble dans l’ignorance mutuelle de notre incommensurable richesse ? À moins qu’elle ne soit là, à la façon d’un pense-bête, pour qu’on n’oublie jamais la solitude éblouie de ce trésor captif dont on ne peut qu’exceptionnellement faire société ?

Chroniques de l'inconnaissance 18-7-2018

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