L'heure du pur regard
Juste l’encore
D’un regard,
D’un dernier monde,
Une façon de desceller furtivement
La lourde opacité de la terre
Et du ciel ;
Tu te hâtes vers ton lieu,
Hésites,
T’imprègnes des soleils
Venus avec le vent, t’efforces
D’entrer dans la secrète indécision
De ces mots fatigués ;
Ta chair a épousé
Les déclins de la lumière,
Le bourdonnement infini
De ce qui meurt à travers toi,
N’es-tu pas rassasié de ce que tu vois,
Saturé de ce que tu entends ?
Les messages s’accumulent
Sur ton répondeur,
Que tu ne comprends pas,
N’écoutes même plus,
Ils ne font que gonfler la rumeur,
Désespérer la chair ;
Parfois tu cherches dans ce qui fut,
Le sens de cette crue,
De cette opaque procession
D’impatiences déçues,
De regrets éternels,
Vaine démangeaison ;
Ce qui fut, cela sera,
Ce qui s’est fait se refera,
Et le soleil piétine en toi,
Enfle, s’accroît,
Jamais nouveau, ni le même non plus,
Indifférent à tes limites ;
Te voilà affublé du désir d’oublier,
De partir
Et d’effacer tes traces,
De te laisser couler
Dans l’aphasie des choses,
L’innocente pâleur des noyés ;
Que manque-t-il pour que tu ailles,
Plus léger,
Dans la simple saveur des choses ?
Quelle besogne inachevée,
Quelle peine non bue
Te séparent encore de ce qui va ?
Vois ce qui passe entre tes mains
Vois tes mains qui passent aussi,
Et les mots en retard,
Et les fleurs qui se fanent,
Étrange distraction d’un Dieu
Qui nous laisse le soin de mourir proprement ;
Où en es-tu
De ta recherche de vent,
De ce plaisir qui vient aux choses,
De ces sagesses titubantes,
De ces vérités haletantes,
De ces reflets ensorcelants ?
Saurais-tu ajouter une goutte de sens
Aux paroles de l’insensé ?
Le même vide vous attire, vous effraye,
La même obscurité,
Puis le même silence effacera vos pas, absorbera l’écho
De vos espoirs, de vos gémissements ;
Mais un jour, voici parmi les heures
Celle du pur regard,
De la plus simple transparence,
Où doit venir le dernier mot,
Comme un soupir vers le soleil,
Une goutte de pluie absorbée par la mer ;
Et cette heure t’invite
À passer
La ligne du regard,
À rejoindre dans le bois mort
Le pas de ce qui croît, s’élance
Et réclame ta voix ;
Ici, tu ne peux plus mourir,
Ou si tu meurs,
Tu ne peux plus oublier
Que la mort ne fait pas
Toute la différence
Entre ce qui parle et ce qui se tait…
(Le syndrome d'Orphée, Ed. de l'Atlantique 2010)