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Une chaise dans l’eau et autres choses insignifiantes

 

 

            Lors de ta promenade, franchissant une passerelle, tu vois une chaise à moitié immergée dans le petit cours d’eau qu’elle enjambe. Seuls le dossier et une partie du siège restent visibles. Sa présence incongrue dans ce coin de nature fait signe en direction du monde où nous vivons. Mais ce ne sont pas des pensées morales ni écologiques qui te viennent en la regardant, seulement une attention particulière à la charge de réel et de silence contenue dans sa déchéance. Son exclusion des relations d’utilité et de valeur formant la trame de nos vies lui rend sa souveraineté muette et laisse entrevoir, au-delà du sens, sa trajectoire et sa « banalité » cosmiques. Cette ombilication nouvelle à l’infini, où danse encore le reflet des humbles services passés, lui confère l’ironie légère des anciennes divinités attachées poétiquement aux êtres et aux lieux de la nature.

 

 

            Comme chacun, tu es sensible à la « beauté » ordinaire des paysages, mais ton regard ne cesse de s’échapper, de te trahir. Enfant, la « beauté » proliférait autour de toi, les paysages se multipliaient, s’emboitaient, composant des mondes gigognes où la vie et le jeu trouvaient leur dénominateur commun. L’espace s’offrait à toi dans ce feuilletage infini où l’innocence et le savoir s’irisent mutuellement et se relancent l’un l’autre dans le vertige heureux de leur engendrement réciproque. Tu n’as jamais admis que ce mouvement puisse un jour ralentir ou se figer dans le « sérieux » de l’existence. La poésie est ton refus.

 

 

            Ton regard n’a jamais procédé par division, exclusion, séparation, les embarquements de la « beauté » sont demeurés pour lui, depuis le premier jour, illimités. L’absence même de « beauté » dans un être ou dans un lieu suscite en lui une aimantation particulière. Dans ce coin de paysage ingrat, ce carré de terre muet, ces ruines sans dignité historique, le retrait de la « beauté » lui fait signe, l’attire, promettant de lui confier un des secrets précieux de l’absente. Pour lui, une « beauté » mystérieuse émane de toute absence flagrante de « beauté ».

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