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Guerres inexpiables, non encore expiées

​

Là-bas,

Des hommes, des femmes, des enfants,

Certains assis, d’autres debout,

Beaucoup en larmes,

Ils auraient voulu souffler un peu,

Respirer,

Mais l’air a disparu,

Confisqué par les mots,

Les symboles,

Les rites,

La violence

De ces hommes creux,

Sans yeux,

Sans oreilles,

Niant le vide à coups de crosses et patrouillant

Dans les coulisses

De leur sainte horreur de la vie ;

 

 

Ici,

Toi, ton corps, ta fatigue, ton dégoût,

Toi, aveuglé, humilié, insulté

Par l’éclat virtuel

De ces nouveaux anges aux dents blanches,

Aux habits bien coupés,

Aux cheveux bien coiffés,

Aux propos calibrés,

Toi, ne sachant que faire de toutes les images

Avec lesquelles

Ils font leur nid dans ta cervelle

Et diffusent

Jusque dans tes rêves les plus intimes

Les figures d’un monde modulable au gré

Des caprices du marché

Et des aléas

De la soumission humaine ;

 

 

Entre le mensonge enluminé de l’ici

Et le vacarme brut du là-bas où s’inventent

Aujourd’hui,

Toujours plus proches du Cocyte,

Les nouveaux cercles de l’enfer,

Tu ne sais que faire de ton

Oui,

De ce surcroît de force et de soif sans emploi,

De ce gouffre d’approbation, d’aimantation,

Qui ne doit rien aux fables ni aux désirs du jour,

Aussi

Lorgnes-tu du côté des glaces, des espaces gelés,

Des longs crépuscules,

De ces peuples qui vivent de vent, de neige,

Et savent par cœur

Ces langues fatales de l’invivable

Parsemées de fleurs qui n’existent pas ;

 

 

Comment se remet-on des vieilles fanfares

Qui attaquent encore

Et toujours

Le cœur et la tête ?

Comment s’éloigne-t-on,

À l’intérieur de soi,

Des anciens crimes et des nouveaux ?

 

 

Il n’y a pas d’« expiation »,

De lessive miracle,

De machine à laver les charniers, les ruines,

Pas de « pureté » retrouvée,

Juste le temps,

La distance,

L’oubli,

L’absurde et cyclique innocence de la chair,

Et puis

L’aide précieuse de la mort,

Mais les foules compactes avancent toujours,

Corps pressés, étouffés, écrasés, noyés,

Enveloppés dans la fausse candeur des commentaires,

Les arrière-pensées de la loi,

Les ruses de la compassion ;

 

 

Là-bas,

Il y a la boue, tant de boue,

Et du gris, tant de gris,

Celui qui veut survivre doit avoir

Un rayon de soleil planté dans le cœur,

Des bouts de ciel cachés dans ses valises,

Mais comment fera-t-il si

Même son nom semble trop lourd à emporter ?

Ne vaudrait-il pas mieux au fond

N’être personne

Plutôt que de confier

Le soin aux barbelés

De dire

« Qui » ?

De dire

Qui est l’un et qui est l’autre,

Qui est dedans, qui est dehors,

Qui est humain, qui ne l’est pas ?

 

 

Ici,

Tu pourrais te croire seul

Mais ne l’es pas,

Tu ne peux parler sans que parlent

Dans tes paroles mêmes

Ces voix couvertes par le silence

De ce trou de pensée où bascule

Le corps de ceux

Dont le nom n’a jamais figuré

Sur la liste agréée des vivants :

Si tu devais être seul

Ici,

Ce ne pourrait l’être

Que de leur solitude à eux, cette façon

De mastiquer sans fin

Le rien qui leur fut dévolu,

Le rien de disparaître sans laisser

De nom,

D’adresse,

De qualité,

D’histoire,

De trace,

Le rien de plonger comme des grenouilles

Dans le vieil étang empoisonné,

Sans même un plouf ni une ride

Sur l’eau ;

 

 

Il n’y a pas d’expiation, de consolation,

Juste le devoir, la prudence, le réflexe vital

D’ausculter sans fin les bords, les abords

De ce trou

Où la conscience s’est défaite,

Où l’on peut soudain

Halluciner,

Rêver tout éveillé,

Imaginer posséder

La maîtrise

D’un esprit, d’un corps, d’une langue,

Croire venir à bout

De leurs infinis respectifs et mutuels,

Et confondre par là

Le même de l’un

Avec

Le même de l’autre ;

 

 

Non,

Il n’y a

Ni expiation, ni consolation, ni prévention,

Juste cette vigie,

Cette veille sans fin,

Cette attention de tous les instants,

Car,

Dans ce trou,

Le réel catalyse sans répit

L’énergie colossale de tous les désirs qui n’ont

Pas encore de visage

Comme celle des ardeurs qui n’en auront

Jamais,

Transformant le moindre de nos actes,

Le moindre de nos mots

En prélude possible

Soit

À quelque ordinaire saccage

De la fragile trame humaine

Soit 

À quelque intuition inédite et salutaire

De son improbable maillage…

 

(Poème extrait d’un recueil non encore publié, écrit en 2018 et intitulé : Coups de marteau en forme de ciel, sorte d’hommage à Antonin Artaud. Le titre du poème est une citation d’Artaud)

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