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Ne pas écrire ou la fable secrète

 

 

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            De longs jours passent à ne rien faire. Tu ne peux vaquer qu’à cette lente macération. Tu ne peux ni lire, ni penser, ni rêver. Tu ne peux vivre que dans une attente sans objet ni contours. Une attente dont le sens couve à la façon d’une mauvaise maladie. Tu n’écris pas, l’essentiel est là. Faire quoi que ce soit d’autre te semblerait trahir ce désir aussi tyrannique qu’informe. Tu ne sais si tu dois espérer ou désespérer, tout se passe au-delà ou en-deçà des sentiments identifiables. Tu ressembles au Golem d’une magie aux principes hésitants, aux formules oubliées, aux incantations hasardeuses, aux rites qui se diluent en des passe-temps dérisoires. Ta naissance tarde, tes poumons hésitent, la déchirure de l’air fera-t-elle de toi l’enfant ou le noyé d’une nouvelle page ?

 

 

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            Des embryons de mondes, d’invisibles ébauches, des échos assourdis. Vertiges, migraines, sensations diffuses, flottantes. Tohu-bohu. Chaos. Terres vides, vagues, vaines. Ton ordinaire, jour après jour. Sans éclat, sans héroïsme, sans solennité. Ton corps même. Depuis le temps que vous partagez, toi et lui, la même vie, les mêmes élans, les mêmes fatigues, tu as appris à déchiffrer l’alphabet de sa maladresse, à dialoguer avec sa confusion, son innocence. Il n’est jamais aussi présent que dans ces moments où tu n’arrives à rien. Il ressemble alors à quelque feu sournois qui couve sous la cendre et hésite à se propager à travers langue et pensée. Puis, soudain, le feu prend, un mot vous unit, vous consume, vous vaporise en des transparences, des expansions communes. Toutes les couleurs sont là.

 

 

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            Il y a dans la poésie une oscillation constante des limites, des bords, des butées. On sent en elle s’évaporer l’identité de celui qu’on croit être et les savoirs qui lui sont attachés. Ce n’est pas qu’on s’oublie, se dédaigne, se méprise, mais ici celui qui trouve n’est pas celui qui cherche. Tu devines parfois ce quelque chose d’animal lâché dans le langage et secouant les liens de tout ce qui l’entrave. Tu vois se déployer dans tes « visions » les paysages qu’il parcourt et que masquent les plis habituels de ta vie. Tu mesures, en le pistant, à quel point la vie tarde à accueillir la vie, sa totalité étoilée, son corps inverse, sa citoyenneté poétique et animale. Tu imagines aussi, parfois, d’étranges communautés délivrées des vieilles stases de l’être ou de l’avoir, musicalement prêtes à recueillir et échanger tous les remous et les éclats de cette solitude vagabonde.

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