Mauvais sens
Le vivant n’a pas d’autre moyen de penser le vivant que l’inerte, le signe inerte. Le singulier n’a pas d’autre moyen de penser le singulier que l’universel. L’autre n’a pas d’autre moyen de penser l’autre que le semblable. Et ainsi de suite. Il y a là une limite, une contrainte logique du parlant.
Ce hiatus s’ouvre dans le vivant dès que celui-ci trouve dans le reflet un appui pour sa survie, et s’accentue lorsqu’il en fait un signe en direction d’un autre vivant. Alimentation, prédation, sexualité, grégarité, creusent cette faille dans le vivant et la mènent à son acmé dans la communication symbolique.
C’est pour avoir abordé cette question dans le mauvais sens que la raison occidentale s’est parfois désespérée devant les apories intrinsèques du langage et égarée en des voies dangereuses. Prendre l’universel pour l’universel, le semblable pour le semblable, le singulier pour le singulier, l’autre pour l’autre, est le ressort de nombre de nos malentendus et de nos déconvenues. L’obnubilation par le royaume de l’inerte, qui est celui des énoncés, et par la logique qui l’ordonne, masque une autre logique, celle du mouvant, de l’événement, de ce qui déloge sans cesse le vif de l’inerte, mais tout aussi bien l’inerte de l’inerte.
Sur cette crête déferlante de la vague, le mouvant s’appuie sur le fixe non pour qu’il le représente positivement devant quiconque mais pour qu’il en exhibe le blanc, le signe absent, et en préserve la place vide contre toute imposture. La pensée du vif, la pensée fidèle à son mouvement, ne se produit pas dans la coïncidence de A avec A, mais dans l’écart de cette esquive dont le vif crée, entre A et A, le théâtre et les figures.
Chroniques de l'inconnaissance 22-6-2018