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Raconter sa vie

 

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            Impossible de faire le « récit » de sa vie. La vie n’admet aucun détour, aucun retard, aucun écart. Dès qu’on veut la raconter, elle s’empare du « récit » et le plie à ses fins, qui s’amalgament à son déferlement. Cette « impossibilité » est la principale motivation de ces lignes, de ces « récits ». Tu imagines, au départ, plus une enquête qu’une confession. Une enquête sur les raisons obscures qui t’ont poussé et te poussent encore, en dépit des raisons contraires, à aimer la vie, cette vie, dans tous ses états, et à la « dire » aussi bien que tu peux. Tu n’en connais pas une bribe qui ne contienne cette épice énigmatique propre à raviver en toi la saveur d’être et le désir de l’écrire.

 

 

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            Malgré les apparences physiques, tu es simultanément tous les âges de ta vie, éternité comprise. Tu l’es parce que la vie n’a pas d’âge et se dérobe aux divisions du temps. Ainsi, lorsqu’il t’arrive d’évoquer ton enfance, tu effaces mentalement le « jadis » appelé par cette évocation. L’enfance dont il s’agit, lorsque tu en parles, est toujours celle de l’instant, c'est-à-dire un ensemble d’actes propres au seul chantier de ta vie présente. Tu vois d’emblée dans ce genre d’actes quelque chose de très proche de l’acte poétique, si proche que tu ne le distingues pas de celui-ci.

 

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            L’enfance est le royaume des premières fois, le lieu de naissance de ce réel biface où l’Un s’« incarne » au jour le jour pour devenir et demeurer son propre miroir peuplé de ses reflets mêmes. Malgré son sentiment d’exil nul ne franchira les frontières de ce royaume, car il n’y a pas ici de fois seconde. On croit l’avoir perdu, s’en éloigner au fil du temps, on le déplore ou s’en réjouit, mais on se trompe. Cette illusion porte un nom : l’âge adulte. Les sirènes du langage nous entraînent ainsi, à travers notre erreur, vers les eaux fictives d’une « banalité » que nous imputons aux seules circonstances de nos vies et non à sa vraie cause, ce deuil imaginaire de l’enfance.

 

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