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Du bonheur et de la lame
Le malheur a toujours une cause évidente, le bonheur non. Il est, pour toi, comme une seconde peau des choses. Une source jaillie du roc. Tu le soupçonnes même d’être à l’origine de tes insomnies. Au milieu de la nuit, tu perçois ce bruit de fond, la pulsation d’un cœur externe, une rumeur venue des quatre coins de l’obscurité. Tu ne peux qu’ouvrir les yeux, tendre l’oreille. Le noir contient cette lumière. La douleur aussi. Cette évidence, tu ne saurais la dire, elle est collée à ta vie, à ta chair, trop solidaire de ce que tu es. Tu prends sa mesure à tâtons, comme un aveugle la mesure de ce qu’il ne voit pas.
Le bonheur n’est pas le contraire du malheur. Il n’est le contraire de rien. Juste une certitude dérobée au silence de la nuit, aux lueurs du petit jour. Nul ne connaît ni ne connaîtra jamais le bonheur d’un autre. S’il arrivait, par impossible, que tu puisses l’éprouver, sans doute dirais-tu que ce n’est pas le vrai. La poésie ne peut puiser sa force qu’à cette solitude heureuse, c’est pour cela qu’elle se nourrit d’échos et ne dit rien de ce qu’on peut comprendre. Le plus étrange étant qu’elle unisse parfois les plus diverses solitudes par la solitude d’un même chant.
C’est sur le fil du rasoir que ton bonheur se livre à toi le plus complètement, le plus distinctement possible, comme ce soir où l’ambulance t’emporta dans un bruit de sirène. Tu n’étais plus sûr de ton cœur, de ton corps, ni du jour à venir, tu n’étais plus sûr de rien, sauf de ce bonheur sans condition qui semblait devoir résister à tout. L’imminence possible de la « mort » n’avait aucune prise sur lui, comme s’il en avait depuis toujours englobé la fatalité pour en faire le vecteur discret d’une transposition musicale de tout horizon nouveau et de ses lois particulières.