Alchimie du corps
Dans le secret de ses cellules, ivre de ses propres artifices, mon corps compose la promesse des choses, il en parfait chaque ton, en accomplit le sens, du plus trivial au plus sublime. De rue en rue, rencontre après rencontre, signe après signe, je le mets à l’épreuve d’un puzzle insensé. Au moindre doute qui m’effleure, à la moindre hésitation, je lui demande de tout rejouer, tout mimer à nouveau, tout reprendre depuis le premier beth : la terre vide et vague, les ténèbres, l’abime, l’Esprit d’Elohim faisant du deltaplane au-dessus des eaux, puis la lumière et la saveur de la lumière. Livrets, partitions, scénarios, scripts, il connaît tout sur le bout du doigt, répertoire des voluptés, des frissons, des fièvres, des douceurs, des souffrances, des chutes, des morts et des résurrections. Tout. Prodige de mémoire s’étendant bien au-delà de ma mémoire. Ici, le voici aux prises avec la transparence grise d’un matin d’hiver, là, avec la douceur d’un ventre de femme, ailleurs, avec les flammes qui dansent sur le corps ravagé d’une ville. Il sait le peu, comme le trop. Grain de poussière ou Dieu unique, rien ne le rebute, ne l’effraye, ses rhétoriques ne reculent devant aucun défi. D’une inflexion de voix, crevant les apparences, le voilà qui s’embarque sur le sens effilé de ses plus subtiles figures, pour mourir de mort vive, pour vivre de vraie vie, aux rives aveuglantes de la Sainte Face.
Chroniques de l'inconnaissance 30-1-1985