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Apocalypse & Co           

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Ici,

Les choses naissent

Sans raison apparente, mais on entend,

Venue de toujours, allant partout,

Cette voix indistincte,

Qui traverse les murs, les corps,

Depuis on ne sait quel lieu opaque,

Entrepôt céleste, mental ou physique,

Bureau énigmatique,

Local désaffecté, séparé, impensé,

Où rien ne se crée, ne se perd,

Mais où tout

Se prépare, s’apprête, se transforme,

Afin que l’on s’égare mieux,

Plus librement, plus amplement, plus confortablement,

Dans l’infini dédale

De l’innocence et du hasard ;

​

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Confidences que tu surprends,

Révélations,

Récit intime adressé à personne,

Que tu captes ainsi, en passant,

Ne dirait-on pas les bribes d’un roman,

Bouts de fiction sans queue ni tête,

Que lirait à voix haute –

Mais pour qui ? –  

Un ange, un comédien, ou pire,

Roman usé, troué, rapiécé, oui,

Qui te rappellerait vaguement quelque chose, quelqu’un,

Un instant dont tu cherches la trace parmi

Tes souvenirs,

Peut-être simplement le goût

D’un plaisir oublié ;

​

​

Mais rien,

Rien qui puisse justifier, au fond,

Cet air de déjà vu, déjà entendu,

D’ailleurs

L’ange lecteur est déjà passé

À autre chose et tu n’entends

Plus qu’un froissement d’étoffe qui s’éloigne, suivi

D’un silence à peine plus insistant et réel que celui

De tous ces livres entassés pêle-mêle

Dans les greniers à fables du désir ;      

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​

Ange, dieu, néant, ou bête douée de parole,

Heureux celui qui sait lire,

Heureux aussi celui qui sait écouter, voir,

Par-delà la lettre vide de son désir,

Les signes sans retour ni revers

De cette langue jaillissant du réel de son pas :

Belle raison des herbes folles,

Obstination céleste des cailloux,

Prière silencieuse des arbres au soleil,

Théories sans fin de tout le reste,

L’intelligence du dehors y détricote

Celle du dedans,

Substituant à la vieille routine de ses actes simples,

Son propre et fabuleux essaim

D’actes

Irréguliers, discordants, incongrus,

Uniques et ubiques –

Regarde-là rêver incognito le rêve de ton rêve

Sous chaque étape que tu croyais tienne ;

​

​

À présent,

La voix s’est tue,

Plus personne ne lit,

Mais la lecture se poursuit d’elle-même,

Silencieuse,

En chacun ou de l’un à l’autre –

À la faveur d’une pierre, d’une fleur, d’une ombre,

Ou d’un bout de ficelle,

Une porte s’ouvre en elle, sur le ciel,

Une porte quelconque,

Qui pourrait être

Celle de ta maison, de l’épicerie du coin,

De l’immeuble d’en face

Ou

D’une simple sensation ;

​

​

Alors,

Quelqu’un,

Que tu vois, devines ou imagines,

Te fait signe d’emprunter

Un étonnant escalier de verre dont tu peux

Distinguer clairement

Chaque particule avec son mouvement propre,

Un escalier

Dont le haut et le bas se perdent

Dans le tourbillon des galaxies, du vide,

Des questions sans réponse :

Te voilà saisi,

En esprit,

Mais aussi physiquement,

Saisi jusqu’à la chair de poule ;             

​

​

Pour donner la mesure de ce qui se passe

Marche après marche

Entre toi et ce qui t’entoure,

Il y a,

Hors de tout lieu

Et tout en haut d’un « haut » qui n’est

Ni plus haut ni moins haut que celui

De la moindre bribe de réel,

Un trône vide,

Où ne siège personne,

Où ne vaut aucun mot,

Un trône où s’asseoir ne mènerait à rien,

Mais sur lequel la vacuité

Prend la couleur du jaspe ou de la cornaline

Et enflamme,

De ses yeux inhabités,

Ce qu’il y a de plus proche et de plus cher en toi ;

​

​

Tu ne rejettes ni ne recherches

Le merveilleux, la beauté, l’éblouissement,

Tu ne ressens aucune frustration devant

L’envol de l’oiseau,

L’impassibilité de la pierre

Ou le scintillement lointain des étoiles,

Tu ne demandes aux dieux

Aucun miracle, aucune transfiguration,

Tu n’attends de chaque chose comme de toutes

Que ce silence par lequel

Leurs vertus colorent ton vide et lui donnent

Le la secret qui le guide

Vers la musique hybride du hasard et de la chair ;

​

​

Pourquoi céderais-tu à la manie commune

D’ajouter quelque chose

À la magie du vide ?

Pourquoi t’obstinerais-tu à voir, comme chacun,

Sous l’anarchique solidarité

Des actes et des signes lointains du hasard, 

On ne sait quelle blessure ou quel manque infligés

À ce corps que tes mots font vibrer

Comme un cristal

Toujours à deux doigts de se rompre ?

Pourquoi refuserais-tu la moindre part de cette force,

Le moindre influx

De cette vigueur et de cette tendresse aléatoires

Qui résonnent déjà en toi et réclament

La plus ardente patience ?

Pourquoi voudrais-tu apposer à la hâte

Les scellés

Sur les paroles vacillantes de ton poème ?

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​

(Après les jours, éditions de L'herbe qui tremble, 2017 ; un extrait de ce poème a été accueilli par le site Terres de femmes)

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